jeudi 22 avril 2021

HOMELIE DU 3ème DIMANCHE DE PÂQUES (année B)


Lectures : Ac 3, 13-15.17-19 ; Ps 4 ; 1 Jn 2, 1-5a ;  Lc 24, 35-48.

Ce 3ème dimanche de Pâques est appelé Dimanche de la joie. Il devient dimanche de la joie si réellement les hommes que nous sommes, nous nous laissons arracher à nos certitudes humaines, nous nous laissons arracher de nos aveuglements et de nos péchés pour devenir des croyants. La joie de la foi va prendre le dessus sur nos vies et nous transformer.

Que nous enseignent les textes bibliques de ce jour ?

L’évangile en Lc 24, 35-48 nous montre les disciples au lendemain de la résurrection : ils sont encore dans la peur et le doute. Le Ressuscité leur apparaît et les instruit mais, ils ne sont pas encore convaincus. Ils sont hésitants malgré les signes que Jésus leur apporte. Jésus ressuscité veut les rassurer et leur montrer que c’est bien lui qui est vivant ; il leur rappelle l’enseignement qu’il leur a donné avant cette heure de rédemption, il leur montre ses mains et ses pieds, rien qu’à la manière de rompre le pain, ils peuvent le reconnaître mais le mode de sa présence a changé : il n’est plus soumis à l’espace, aux obstacles et au temps. Il peut être à Emmaüs et à Jérusalem ; il peut entrer et sortir portes et fenêtres closes.

 

Le mystère de la résurrection de Jésus, c’est une vie qui prend en compte celle de ce monde mais qui la dépasse. Les témoignages le confirment :

·        Prendre en compte les réalités de ce monde : il vit, il se laisse voir et on peut le toucher, il parle, il mange, il est reconnaissable et a les marques de la crucifixion et la plaie dans son côté

·        Dépasser la vie de ce monde : Rien ne peut lui faire obstacle (il entre dans les maisons quand bien même les portes et les fenêtres sont fermées), les distances ne sont pas obstacle pour lui, on dirait qu’il a désormais le don de la bilocation sinon le don de la multi-location (être en plusieurs endroits à la fois) ; il apparaît et disparaît quand il veut et comme il le veut ; il continue de faire les miracles comme avant sa mort.

Et nous que penser et que retenir de tout cela ?

A ses contemporains, l’apôtre Pierre dit : « D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu  a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. » Pierre est à mesure de comprendre car au départ, il n’était pas mieux que les autres : il a renié Jésus par peur ; après la mort de Jésus, il se cachait comme les autres. Il a fallu les apparitions du Ressuscité pour les conforter et l’action et l’assurance de l’Esprit-Saint pour les confirmer pour la mission. A partir des Ecritures, le Ressuscité leur a expliqué la nécessité de cette mission rédemptrice par le mystère de la croix. « Il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Ecritures. » Convaincu, Pierre et ses compagnons peuvent porter la mission aux autres. Fidèles à la mission, ils annoncent le message de salut et invitent à la conversion pour bénéficier du pardon des péchés.

Soyons des personnes de bonne volonté et de bonne foi. Nous avons reçu le baptême, bébé ou adulte, et aujourd’hui par les différents renouvellements de nos promesses baptismales, nous avons adhéré à Jésus ressuscité, Jésus Sauveur et Rédempteur. Mais souvent quand nous regardons nos vies, nous constatons que nous sommes tenus par la peur des éléments et des événements de ce monde. Nous avons besoin qu’on ouvre nos intelligences à la compréhension des Ecritures ; nous avons besoin de conversion et que nos péchés soient pardonnés.

Toutes les trois lectures que nous avons écoutées reviennent sur un point commun : « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés »(Ac 3,19) ; « Je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Jésus Christ, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés » (Jn 2,2) ; « la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés » (Lc 24,47). Nous ne sommes pas mieux que nos pères : acceptons cette invitation de l’Ecriture pour obtenir le salut.

Enfin le signe du salut est la joie, une joie partagée. Les disciples d’Emmaüs oublient les fatigues de la route Jérusalem  - Emmaüs. Ils repartent sur Jérusalem pour aller partager la joie qui met fin à leur découragement, la joie de retrouver la foi et de retrouver une espérance. Ils n’ont pas suivi Jésus en vain. La joie de la foi doit nous habiter et motiver notre vivre et nos activités. Joie de croire, joie de vivre comme l’indique un titre des livres du père François Varillon, voilà la relation qui doit exister entre notre foi et notre vie ; il n’y a pas juxtaposition mais corrélation. Notre foi doit justifier notre joie de vivre et inviter les autres d’une part et d’autre part notre joie de vivre doit se fonder sur notre foi. Voilà la mission qui nous est confiée en ce 3ème dimanche de Pâques.

Que les grâces de cette eucharistie nous raffermissent pour cette mission de témoignage au nom de la la foi en Jésus Ressuscité. Amen

Abbé Cyprien SOME

 

 

Homélie de la Vigile Pascale 2021

 


lundi 5 avril 2021

Homélie du Jeudi Saint 2021

 

Frères et sœurs bien aimés de Dieu, dans l’évangile de saint Jean, Jésus à plusieurs reprises nous parle de son heure ou de l’heure. « Mon heure n’est pas encore venue », dit-il à sa mère aux noces de Cana en Jean chapitre 2 ; « L’heure vient, où les vrais adorateurs adoreront Dieu en esprit et en vérité » lance-t-il à la Samaritaine en Jean 4, 23.  « On cherchait à l’arrêter, mais personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue » en Jean 7, 30 et 8, 20. « L’heure est venue où le Fils de l’homme va être glorifié » en Jean 12,23.  « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue » Jean 13, c’est le début de l’évangile de ce soir .  

Presque dans chaque chapitre, Saint Jean nous parle de l’heure de Jésus. Si certains emplois de l’heure nous permettent de voir ou d’imaginer et par recoupement, à quoi renvoie l’heure de Jésus, c’est-à-dire à sa glorification et des allusions à sa mort, certains usages du terme, en revanche, laissent le lecteur indécis. Mais au fur et à mesure qu’on avance dans la méditation de l’évangile de Saint Jean, on constate un dévoilement progressif du contenu de l’heure de Jésus. Saint Jean ne semble pas vouloir nous dire tout d’un coup. Il passe progressivement d’un emploi sans grande précision vers une certaine clarification du contenu de l’heure. Ainsi, on passe « de mon heure n’est pas encore venue » ou de « l’heure vient » à « l’heure est venue » comme pour nous dire que le moment tant attendu est enfin arrivé ; c’est le moment du grand dévoilement.

Il y a cette impression d’impatience qui se dégage, une montée progressive d’une tension de voir arriver l’heure. Jésus a hâte que son heure arrive ; que ce moment favorable arrive. Et enfin elle est là, elle est arrivée, c’est du moins ce que Saint Jean nous dit ce soir : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son père ». Il n’y a plus d’allusion ! Tout est dit ou presque ! L’heure que Jésus attendait impatiemment renvoie à sa mort résurrection. C’est l’heure de l’élévation qui commence par la croix pour s’achever dans la gloire de la résurrection. L’heure de Jésus est donc ce que nous désignons par mystère pascal. L’heure ne renvoie donc pas ici à l’espace du temps égale à la vingt-quatrième partie du jour.  Ainsi le repas de ce soir pris avec ses disciples, la journée de mort sanglante de demain et le matin de pâques désignent les phases d’un même mystère, l’heure de Jésus. Une heure à la fois douloureuse et heureuse.

L’heure de Jésus, à regarder de plus près, surtout en écoutant attentivement l’évangile de ce soir, est l’heure d’un amour total et définitif : « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout ». C’est l’heure de l’amour jusqu’au bout. L’expression de cet amour jusqu’au bout, réside dans le don de sa vie, le don de son corps et de son sang. Cet amour jusqu’au bout est aussi exprimé dans ce geste de lavement des pieds qui est d’un symbolisme aussi frappant qu’étonnant.

Comme vous l’avez sans doute remarqué, contrairement aux trois autres récits des évangiles synoptiques, Saint Jean ne nous raconte pas le récit de la cène de l’institution de l’eucharistie. Il se contente seulement de mentionner brièvement le cadre du repas : « au cours d’un repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table ». Il ne dit pas plus.

Pourquoi Saint Jean ne raconte-t-il pas l’institution de l’eucharistie alors même que tous les indices montrent bien que la cène n’était pas ignorée de sa communauté. Rappelez-vous le discours sur le pain de vie en Jean chapitre six. Jean préfère relater le lavement des pieds que la cène de l’institution de l’eucharistie. Les grands spécialistes de Saint Jean avance plusieurs hypothèses, mais nous nous gardons de ne pas rentrer dans ce débat de spécialistes. Nous soulignons bien simplement que ce chapitre treize que nous lisons est une introduction générale, au récit de la passion. Ce qui y est dit peut être qualifié de prolégomène. Les prolégomènes ont pour but de nous avertir, de nous préparer à la compréhension de ce qui sera dit plus loin. Ce texte que nous avons lu voire l’ensemble du chapitre, a pour premier but de rendre concrète l’orientation totalement décidée et librement assumée de Jésus vers sa mort. Le ton général de cette orientation est l’abaissement ultime et le dépouillement entier et jusqu’au bout de soi ! Mais pourquoi, pour quelle finalité ? Pour le service le plus grand qui soit, c’est-à-dire le service de la victime offerte pour le salut de tous.

S’il en est bien ainsi, l’auteur du quatrième évangile semble estimer que le geste du lavement des pieds est davantage adapté comme préface, comme prolégomènes à l’ensemble du récit de la Passion et de la mort du Fils de l’homme que celui de l’institution de l’eucharistie ; la dimension d’abaissement volontaire apparaissant davantage dans la quiddité de ce geste d’esclave. On pourrait voir aussi dans ce silence de Jean, une certaine interpellation ; en ce sens que l’eucharistie que nous célébrons ne correspond véritablement à la volonté de Jésus qui s’est livré pour nous que si elle conduit à la communion entre les disciples, que si elle conduit à la charité fraternelle. Le chapitre onze de la première épitre aux Corinthiens nous laisse pressentir que ce n’était pas évident que la cène soit un endroit de communion puisque chacun se précipitait sur les plats pour ne pas partager avec les autres. Le lavement des pieds que Jean décrit au cours du repas semble dégager alors le sens profond du récit de l’institution de l’eucharistie.

L’évangéliste nous dit que Jésus s’agenouille pour un geste inattendu, le lavage des pieds de ses disciples. Ce geste de celui qui a la condition de Dieu, mais accepte de s’anéantir pour prendre la condition d’esclave, nous dévoile que le Christ se met à la totale disposition des hommes. Un total don de soi sans reculer devant les conséquences dramatiques de l’incompréhension des hommes. Il y a dans ce geste d’esclave, tout le sens de son incarnation, de sa vie, de sa passion, de sa mort et de sa résurrection et même le sens de l’eucharistie. Jésus accepte de se rendre disponible aux hommes, de se donner en nourriture. 

À travers ce corps livré pour nous et ce sang versé pour nous, l’heure de Jésus est celle de la nouvelle alliance. Par la coupe et le pain le peuple de Dieu prend corps, le peuple de la nouvelle alliance, une alliance arrivée à sa plus haute expression, l’expression la plus absolue, arrivée à sa vérité définitive à travers le sang versé. Nous sommes les croyants de la nouvelle alliance entre Dieu et l’humanité. L’alliance est définitive parce qu’il n’y aura plus d’autres alliances. L'heure de Jésus, est l'heure où l'amour est vainqueur, c’est l’heure où l’amour scelle une alliance. Il n’y aura pas non plus une autre preuve d’amour plus grande que la vie donnée, que le cops livré, que le sang versé. Aimer, c’est accepter de saigner pour celui qu’on aime ! En effet, l’amour ne reste pas à la douceur du sentiment d’aimer. Il passe à l’œuvre, affronte des difficultés pour le bien de celui qui est aimé et va jusqu’au don total de sa vie (cf. Jn 15, 13).

Si l’on peut voir dans ce geste de lavement qui scandalise déjà Pierre, un signe du scandale plus grand de la croix sur laquelle le Christ va saigner pour l’humanité, on peut y voir également une invitation à l’amour et au service mutuel. Une invitation à nous livrer pour les autres ; une invitation à nous rendre disponible pour les autres, une invitation à avoir un cœur qui rayonne et qui saigne pour les autres. « Si donc, moi, le Seigneur et le Maitre, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ». Si « Dieu se manifeste à nous comme celui qui est à notre service, et si le Verbe, qui est la raison ultime des choses, se manifeste à nous comme celui qui est à notre totale disposition, alors nous est révélé le sens ultime de notre propre existence, c’est notre totale disponibilité aux autres »[1].

Il s’agit d’un impératif de la vie communautaire ; de la vie du couple, de la vie de famille, il s’agit d’un impératif de la vie sociale ; un impératif qui s’enracine dans l’exemple du Christ serviteur ; un impératif qui découle de notre marche à la suite du Christ ; un impératif qui est inhérent à notre communion au corps et au sang du Christ. L’Eucharistie est non seulement le sommet d’une solidarité fraternelle déjà réalisée, mais aussi et surtout l’exigence d’un amour fraternel à laquelle tout fils et toute fille de la famille de Dieu est interpellé. Car, « une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée »[2], d’autant plus que par la communion, le Christ fortifie la charité des chrétiens. En lavant les pieds de ses disciples, Jésus a mis le service au cœur de la vie de ces derniers ainsi qu’au cœur de nos vies. Il nous a donné la mission d'entrer dans son "heure" ; de faire en sorte que son heure devienne notre heure. Accepterions-nous, frères et sœurs bien aimés de Dieu, que l’heure de Jésus soit notre heure ? C’est-à-dire l’heure d’aimer jusqu’au bout !

 

Ab Théophile GODO

Formateur et professeur



[1] Cardinal Carlo M. Martini, Méditations sur l’évangile de Jean, éd. Saint Augustin, 2000, p. 183-184.

[2] BENOIT XVI, Lettre encyclique Deus caritas est, 28 janvier 2006, éd. Saint Augustin d’Afrique, N°14.