Frères
sœurs bien aimés de Dieu, il y a un temps pour tout disait Qohélet : un
temps pour se reposer et un temps pour travailler ; un temps pour rester
collé à ses parents et un temps pour couper le cordon ombilical ; un temps
pour se taire et un temps pour parler ; un temps où l’identité est voilée
et un temps où elle se dévoile. Depuis sa naissance, en dehors de
quelques évènements isolés qui ont pu susciter des interrogations, Jésus a vécu
dans l’anonymat total, comme les jeunes de son âge. Les évangélistes n’en
parlent pas ; ils ne nous disent rien sur ce qu’il a fait entre ses douze et
trente ans. Il est resté caché, discret dans son petit village caché de
Nazareth. La fête que nous célébrons aujourd’hui marque un tournant dans la vie
de Jésus, puisqu’il va quitter sa cachette et se dévoiler.
L’évangile
selon saint Marc que nous avons lu nous livre le récit de cet évènement de
dévoilement de l’identité : le baptême que Jésus a reçu des mains de
Jean-Baptiste. Marc nous raconte le fait brut. Marc est l’évangéliste qui
n’aime pas les grands détours ; les c’est-à-dire, les autrement dit, les
en d’autres termes ; il va tout droit à l’essentiel. Cet essentiel qui est
ici un fait, est le suivant : Venu de Nazareth, Jésus est baptisé par
Jean dans le Jourdain. Dans ce fait, il y a trois éléments
importants : l’ouverture des cieux (le ciel qui se déchire), la
descente de l’Esprit sous forme de colombe et une manifestation divine à
travers la voix. Le mouvement global qui accompagne ce fait, est la
descente et la remonté de Jésus ; Il descend dans le Jourdain et se met au
rang des pécheurs, se fait baptiser comme eux, ce que les théologiens appellent
savamment l’attitude Kénotique du Christ, sa remonté dans une solennelle
théophanie, (Le buisson ardent, la transfiguration...)
Revenons
au premier élément du fait que Marc nous relate : l’ouverture des cieux,
le ciel qui se déchire. Le prophète Isaïe avait déjà formulé ce souhait (Is
63,19) « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais ». Les cieux
s’ouvrent comme pour dire que le temps de la faveur de Dieu pour son peuple est
rouvert ; la session de la grâce est ouverte. Il y aura une pluie de
grâces et de bénédictions ! Les cieux sont vus comme le lieu où réside
Dieu, donc le lieu où réside sa grâce ! Quand un sac se déchire, le
contenu se déverse ! La grâce de Dieu se déverse sur nous. Les cieux qui
se déchirent, cela veut dire également qu'il n'y a plus de séparation entre le
ciel et la terre. On voit l’intérieur de ce qui est déchiré ! Ce n’est
plus caché ! La déchirure, où l’ouverture dévoile ce qui est caché. Et
même quand on ferme les yeux, on manifeste par là que la déchirure dévoile
quelque chose même si on refuse de le voir, de le contempler, de l’admirer,
d’établir une relation avec. Il y a désormais une communication directe entre
deux réalités, entre les deux espaces, puisque l’ouvert dispose à laisser
passer quelque chose. Notre monde (le
monde sublunaire) ne peut plus être considéré comme une cachette isolée, comme
une prison dans laquelle nous sommes liés comme dans la caverne de Platon sans
une communication avec le ciel ! Le ciel s’est ouvert comme pour nous dire que la
communication entre Dieu et ses enfants est enfin rétablie. Pourquoi rétablie !
Parce que le péché d’Adam l’avait interrompue ! Heureuse faute qui nous a
valu le salut ! Le ciel s’est ouvert et l'humanité connaît enfin son Dieu
tel qu'il est et non tel que nous voulons qu’il soit ; et non selon les
caricatures qu'elle a inventées au cours du temps. Si elle continue de
s’inventer des dieux c’est peut-être parce qu’elle ferme les yeux, ou peut-être
qu’elle n’est pas au courant de la Bonne Nouvelle, ou que cette Bonne
Nouvelle est annoncée de la mauvaise manière !
Ce
Dieu, nous le découvrons comme amour, plein de tendresse et de pitié :
« Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous
n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du
lait sans argent et sans rien payer ». Un Dieu qui est dans le registre de
la gratuité ! Il ne demande personne de mériter quoi que ce soit ; Il
fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur
les justes et les injustes. Un Dieu qui est miséricordieux et qui pardonne ! Ce
qu’il attend, c’est « Que le méchant abandonne ses chemins, et l'homme pervers
ses pensées ».
S’il
n’y a plus une séparation entre le ciel et la terre, s’il y a une communication
entre le ciel et la terre, les implications son grandes. Désormais nous sommes
appelés à œuvrer pour ressembler un peu plus à Dieu. Seulement, comme dit le
prophète, nos chemins sont si éloignés des siens que nous risquons de faire un
contresens. Il n’y a pas de quoi avoir peur ; le Seigneur se laisse
trouver ; Il est proche. Jésus Christ est le trait d’unions entre le ciel
et la terre, le médiateur par excellence. Son entrée dans la scène publique qu’inaugure
son baptême est perçue comme une récréation du monde, une nouvelle histoire qui
s’établit entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes ; et c’est
le second élément qui nous permet de le dire, la descente de la colombe.
La
colombe nous rappelle l’Esprit qui planait sur les eaux lors de la création.
Jésus vient de prendre la tête de cette humanité nouvelle, celle qui vit selon
l'Esprit de Dieu ; comme dira Saint Paul, il est le premier-né d'une multitude
de frères » ( Rm 8, 29 ). L’esprit vient témoigner et authentifier que Jésus
est le Messie, attendu conformément à ce que l’écriture dit, notamment le livre
d’Isaïe : la principale caractéristique du messie attendu est d'être
rempli de l'Esprit même de Dieu : « Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur :
esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit
de connaissance et de crainte du Seigneur. » (Is 11, 2). Le Messie est par
excellence celui qui est remplit de l’Esprit saint, l’Esprit même de Dieu.
Jésus,
lorsqu’il se présente devant Jean-Baptiste, il le fait comme tout le monde.
Inconnu, sinon pas plus que les autres habitants de Nazareth, il n’avait rien
de spécifique qui puisse le différencier de ses frères et sœurs. Personne ne
s’imaginait qu’au milieu d’eux se trouve le Messie pour qui ils sont venus se
préparer pour accueillir. L’Esprit vient confirmer que ce Jésus qui est au
milieu d’eux est l’élu de Dieu ; il n’est pas un usurpateur, un assoiffé
de pouvoir et de gloire. « Celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car
l’Esprit est la vérité » nous dit saint Jean dans la deuxième
lecture. L’Esprit vient valider ; confirmer ; authentifier ! Il n’y
a donc pas de risque à croire que Jésus est le Christ, celui qui est venu de
Dieu, le Fils bien aimé de Dieu comme le troisième élément nous le dit.
Le
troisième élément important c’est la théophanie ! Cet évènement vient
confirmer davantage ce qui est dit mais de manière plus explicite :
« Tu es mon fils bien aimé ; en toi je trouve ma joie », c’est
toi mon fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout nom amour. La voix céleste,
la voix venue du ciel désigne Jésus comme le Fils de Dieu. Selon la littérature
biblique, le titre de Fils de Dieu était concédé à chaque nouveau roi le jour
de son sacre, le jour de son investiture. Le baptême est le jour où il a été
désigné comme Fils de Dieu. Le baptême peut être analysé comme une investiture
de Jésus. Jésus est révélé ici comme Messie et Roi. Ce Messie Roi est venu non
pas pour chasser l’occupant, mais pour rassembler les fils de Dieu dispersés. Ce
Roi Messie, vient instaurer le Règne de Dieu. En Jésus, c’est l’irruption du
règne de Dieu au milieu des hommes. Ce règne est la nouvelle souveraineté que
Dieu instaure dans le monde, renouvelant toutes les choses et rétablissant
toutes les relations entre Dieu et les être humains et entre les hommes
eux-mêmes. C’est cette souveraineté de Dieu parmi les hommes qui manifeste sa
gloire. C’est pourquoi ce le Royaume que le Roi Messie instaure est une Bonne Nouvelle.
Et cette bonne nouvelle la voici : En Jésus, Dieu qui était-tout Autre
s’est fait tout proche ; Dieu parmi nous. On comprend alors Saint Jean quand
il nous dit que celui qui aime Dieu le Père aime celui qui est né de lui, Jésus
Christ. L’amour de Dieu et du Christ sont unis. En plus notre adhésion, notre
foi en Jésus Christ, est la preuve que nous sommes nés de Dieu, que nous sommes
enfants de Dieu. C’est là où réside le mystère de notre propre baptême que
cette fête nous permet de méditer.
Le baptême est par
excellence le sacrement de foi en Jésus Christ. C’est pourquoi on demande
toujours aux catéchumènex ou aux parrains : « que Demandez-vous à
l’église de Dieu ? Et il répond : la foi ». La foi est requise
pour le baptême, il ne s’agit pas d’une foi parfaite et mûre, mais une foi qui
est appelée à grandir ; cette foi fait de nous enfant de Dieu. Ce Baptême,
signe de notre foi en celui qui est engendré du Père, Jésus Christ, ne nous purifie
pas seulement de tous les péchés, il fait de nous des fils adoptifs de Dieu,
participant à la nature divine, membre du Christ et cohéritier avec lui, temple
de l’Esprit Saint.
Cette expression de Saint
Jean : Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu,
tient toute sa place, avec évidement, une implication concrète dans notre vie
quotidienne. Cette implication c’est l’amour des frères qui se traduit dans
l’amour de Dieu et le respect de ses commandements. La phrase dite plus haut
juste avant le chapitre 5 est : celui qui aime Dieu doit aimer son frère. Dans
cette page, il dit : celui qui aime son frère doit aimer Dieu et respecter
ses commandements. Comme pour nous dire que les deux amours s’interpellent mutuellement.
De l’amour de Dieu suit
nécessairement l’amour du frère, sinon il serait faux, illusoire, utopique,
mensonge. L’amour du frère et de la sœur conduit aussi nécessairement à l’amour
de Dieu et à l’accomplissement de ses commandements sinon il serait non
seulement inauthentique, mais la source de dérive. Il y a là un argument solide
contre tous ceux, qui pensent, je veux parler de l’humanisme athée, que pour
aimer l’homme il faut éliminer Dieu. L’amour n’est pas une création de l’homme,
il tire sa source en Dieu et ne se comprend réellement qu’en lui.
Pour
nous chrétiens, la loi d’amour s’exprime en deux commandements distincts qui
pourtant n’en forment qu’un seul. Saint Jean nous dévoile que l’amour chrétien
des frères est détenteur, par soi, d’une vérité si définitive, une vérité si
absolue et si transcendante qu’il nous renvoie implicitement ou explicitement
devant la réalité de Celui qui, de toute éternité, est l’amour. À travers le
frère, à travers la sœur que j’aime, je me trouve face à ce Dieu invisible même
si je ne le nomme pas.
Frères
et sœurs bien aimés de Dieu, Puissions-nous travailler à reconnaître Dieu à
travers le frère et la sœur !
Abbé Théophile GODO
Formateur et professeur