Frères et
sœurs bien aimés de Dieu, nous avons fêté jeudi dernier
l'Ascension de notre Seigneur Jésus Christ. Il a promis à ses disciples l’Esprit, le paraclet, celui qui viendra
rendre témoignage à la vérité tout entière. Nous sommes tendus vers cette
promesse. Après l’Ascension, les apôtres sont introduits désormais dans le
temps de la présence dans l’absence ; cette expérience n’est vécue que par
ceux qui aiment. Car l’amour rend présent l’être aimé, même s’il est absent
physiquement. Le bien aimé, même parti, n’est jamais totalement absent de notre
vie. Comme on le dit bien
souvent, la seule véritable absence, c’est l’indifférence. Ceux qui nous sont chers ne sont jamais
totalement absents pour nous. Les
grands absents, ce sont les autres, ceux qui nous sont indifférents.
Le temps de
la présence dans l’absence est le temps des épreuves ; des épreuves qui
doivent vérifier la qualité de notre attachement, de notre fidélité pour le
Seigneur, de notre capacité à nous donner entièrement au Seigneur. Le Seigneur,
lui, ne peut pas nous abandonner ; n’a-t-il pas dit : Je serai avec vous jusqu'à la fin des temps !
Ou encore je ne vous laisserai pas orphelin. Tout repose ici sur la foi, c’est
la foi qui permet aux disciples de prendre conscience que Jésus vit désormais à
l’intérieur d’eux-mêmes. Convaincu de cette présence certaine, bien
qu’invisible, convaincu que le Christ ne peut pas manquer à sa parole, à sa
promesse, ils peuvent s’organiser pour la mission.
La prise de conscience de cette
présence intérieure est traduite par la prière avant le choix du remplaçant de
Judas : « Seigneur toi qui
connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel tu as pris pour prendre
la place dans le ministère des apôtres ». Le Christ ne va pas indexer
Matthias ; seulement la prise de conscience de sa présence intérieure, va
dynamiser les capacités humaines, de réflexions, de discernement, de décision
des disciples. Ces capacités humaines seront animées par un seul
objectif : faire la volonté du Christ. Le premier but de la prière des
disciples n’est donc pas destiné à obtenir une intervention miraculeuse pour
choisir le remplaçant de Judas. Le but essentiel de cette prière, c’est de
pouvoir se déposséder de tout autre désir que du désir de faire la volonté de
Dieu et non des hommes, à travers ce choix. Fort de cela, ils pourront lire la
volonté de Dieu dans les décisions humaines. Cela suppose, il faut le
souligner, que l’exercice de nos capacités humaines de discernement, de
décision soient toujours branchées sur le dépouillement de soi, sur le
renoncement à soi, sur la fidélité à laisser vivre en nous le désir même de
Dieu. Mais si nos capacités humaines de discernement sont dirigées par des
calculs, par des intérêts louches, ou par cet esprit de cooptation, de
népotisme et de complicité qui menace toute institution, il va sans dire qu’on ne
pourra pas lire la volonté de Dieu dans nos choix humains. On pourra crier
partout que l’Esprit Saint et nous, avons décidé, mais en réalité, il n’en est
rien. Il est vrai que le Christ a dit que tout ce que vous aurez lié sur la
terre sera lié au ciel et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié
au ciel, mais attention, cela suppose une fidélité à la volonté du Seigneur. Si
on lie ou on délie sur la terre par calcul égoïste, par intérêt fourbe, ne
soyons pas étonnés qu’il délie au ciel ce que nous avons lié et lié ce que nous
avons délié. Pour que nos désirs disent le désir de Dieu, pour que nos choix
soient le choix de Dieu, il nous faut une grande fidélité à Dieu.
Bien évidemment, cela n’est pas sans
difficulté. Et Jésus en est conscient, d’où cette profonde prière pour
demander les grâces essentielles au témoignage de sa parole. « Garde mes disciples dans la fidélité à ton
nom que tu m’as donné… » La fidélité est demandée comme une grâce car
elle est bien fragile. L’homme fait l’expérience amère de son infidélité :
infidélité à ses engagements vis-à-vis de soi-même, des autres et vis-à-vis de
Dieu. Tout homme fait sans doute cette expérience, à moins d’avoir reçu une
grâce spéciale ! Peut-être que parmi nous il y a des gens qui ont reçu
cette grâce-là ! Attention, ce n’est pas une façon pour moi de justifier
nos infidélités ! Bien simplement une description d’une expérience que tout
homme peut vivre. Toute la Bible, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse est
traversée d’expérience d’infidélité de la part du peuple et particulièrement de
ceux à qui le Seigneur avait confié une mission ; d’un bout à l’autre, il
y a cet appel constant à la fidélité au Seigneur ; fidélité à la foi,
fidélité au nom de Dieu.
Jésus, lui, a été fidèle à son Père
jusqu’au bout. C’est cette grâce de la fidélité à son Père qu’il demande pour
ses disciples. C'est important, car il ne peut y avoir de véritable témoignage
de foi que dans la durée, que dans la fidélité à l’enseignement reçu. C’est le
message du Christ, et le message du Christ c’est de nous aimer les uns les
autres. Et notre amour pour les autres est le signe de notre fidélité au nom de
Dieu. Comme nous le rappelle la deuxième lecture, Dieu, personne ne l’a jamais
vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et nous
en lui. Être fidèle à quelqu’un, c’est demeurer en lui, et lui en nous.
La fidélité forge l’unité sans
laquelle la Bonne Nouvelle ne peut pas porter du fruit. La fidélité aux mêmes
valeurs, à la même foi est gage d’une unité véritable. La fidélité tend à
l’unité, pousse à l’unité, conduit à l’unité. Un couple ne peut pas par exemple
être uni dans l’infidélité, au contraire, l’infidélité est bien souvent cause
de désunion. Une communauté ne peut pas
être unie dans l’infidélité aux valeurs qui sous-tendent leur vivre ensemble.
« Garde mes disciples dans la
fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage pour qu’ils soient un, comme
nous-même ». La fidélité est en vue de l’unité. Le message de l'évangile
ne peut être transmis que par des croyants unis par les liens de l'amour, unis
par la même foi, la même charité et par la même espérance. Si la fidélité est en vue
de l’unité, l’unité est en vue du témoignage. Ce qui veut dire que l’unité
n’est pas un but en soi ! L’unité est en vue du témoignage, nous n’avons pas à
la rechercher pour elle-même ; l’objectif, ce n’est pas l’unité d’abord, l’objectif
est que par cette unité, le monde croit. Nos désunions, nos divisions, nos
querelles, nos refus de communion détruisent nos capacités missionnaires et pire,
elles sont un contre-témoignage certain, scandaleux.
Le message de l'évangile ne peut être
transmis que par des croyants unis par les liens de l'amour. Comment annoncer une
parole d’amour alors que ceux-là même qui l’annoncent se comportent en chiens
et chats. Comment être témoin du Dieu d’amour dans le monde si tous ceux qui l’invoquent
ne s’aiment pas entre eux, au contraire couvent une haine viscérale ? Une haine
qui sape l’œuvre missionnaire. L’unité n’est pas cessation de la
diversité, ce n’est pas absence de diversité. La diversité est signe de
richesse parce que créatrice, alors que nos différents, nos querelles sont un
signe de pauvreté à la fois spirituelle et humaine. La haine appauvrit
l’humanité, elle la détruit. C’est ainsi que le pape François dans sa lettre
encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale affirme au paragraphe 261, que
« toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé.
La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une
capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal ».
L’unité ne
se construit pas sur le mensonge ! Le mensonge est un terrain
mouvant ; tout ce qu’on y construit s’effondre. L’unité
qui est absolument nécessaire dans l’annonce de la Bonne nouvelle se
construit dans la vérité : « Consacre-les
par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le
monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me consacre
moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés dans la vérité ». La
vérité est la parole du Père, c’est-à-dire la révélation de l’événement de
salut par et dans Jésus. C’est cette parole qui nous permet de participer à la
sainteté de Dieu. Participer à la sainteté de Dieu ne signifie pas abandonner
le monde, mais l’habiter pour le transformer, et ainsi aider les hommes à découvrir
leur sauveur, Jésus Christ.
Demandons au Seigneur de nous envoyer
son Esprit pour que unis les uns aux autres, nous puissions rendre témoignage à
la vérité, la Parole de Dieu.
Abbé Théophile GODO